Nous vous relayons cet article intéressant de Simon Sarrazin, ardent défenseur des communs, publié dans le forum des tiers lieux et donc limité à un public captif alors même que son point de vue touche plus largement.
“Je me permets un petit partage sur le sujet. Depuis bien avant le dispositif Fabrique, nous avions pointé le risque auprès des protagonistes de lancer un appel à projet classique. Une documentation de nos expériences passées existait sur le sujet 3 et leur avait été partagée. Mais le dispositif a été lancé dans l’urgence, sans impliquer les tiers lieux et leurs avis. C’est regrettable. Mais c’est plutôt un très bon signe, qu’enfin, un travail collectif soit proposé, donc bravo aux animateurs de ce travail !
Au vu des retours sur les territoires (mais aussi de certains votes), les tiers lieux semblent plébisciter d’autres modalités. Les tiers-lieux innovent sociétalement et ont donc besoin d’innovation dans les modalités de soutien du public si l’on veut que ça suive. Reproduire les dispositifs classique risque de faire plus de mal que de bien à l’écosystème (à l’échelle du Pas de Calais, je crois que c’est malheureusement le cas)
On peut largement innover dans le financement à des tiers lieux d’autant que nous avons de nombreux exemples maintenant (L’ADEME lance sa seconde édition de son appel à communs). Il faudrait néanmoins faire attention à certains points :
- L’enjeu, si l’on considère qu’il faut des grosses enveloppes, que le fait de donner beaucoup ne limite pas le nombre de lieux touchés (certains ont réussi à faire des appels à projet en finançant presque tout le monde). Actuellement, le nombre de fabriques financées est très faible par rapport au nombre de lieux qui auraient mérité ces financements. Pour les labellisés, c’est un énorme coup de pouce et pour les autres le désert en terme de soutien (ce qui n’aide pas aux relations de réseau d’ailleurs. En proportion, la plupart des tiers-lieux du Pas de Calais n’ont eu aucun soutien de l’ANCT par exemple). Si le budget est faible, l’enjeu serait d’être capable de financer un peu tout le monde, et surtout aussi les petits lieux, le parent pauvre de la politique actuelle. Ceux qui ont besoin de 10, 20, 40k maximum, mais ne peuvent pas prendre le risque de passer plusieurs jours sur un dossier pour pouvoir tenter de bénéficier d’un budget souvent d’ailleurs trop important pour eux (beaucoup de petits lieux se sont dits que ces dispositifs n’étaient pas pour eux et c’est très dommage, sachant qu’en général, il vaut mieux démarrer petit pour devenir un tiers lieux plus grand demain, là où beaucoup de fabriques ont démarré tout de suite « grand », ce qui va en amener beaucoup à réduire la voilure une fois le financement fabrique terminé).
- L’enjeu d’arrêter de réfléchir en mode « répartition territoriale ». Encore un exemple qui ne reflète peut-être pas la réalité, mais par chez moi (Pas de Calais), des lieux ont investi beaucoup de temps (et d’argent pour certains) dans des réponses lors des 3ème ou 4ème vague, mais ça a été rejeté, et je pense que c’est lié au fait qu’il y avait déjà deux fabriques labellisées sur un territoire très proche.
- L’enjeu de rendre visible les réponses à tous (pour rendre visibles les réponses, il est tout à fait possible d’utiliser un wiki, comme l’a fait l’ADEME pour son appel à communs, 5 ou comme l’a fait la ville de Saint Denis avec 800 projets, via l’outil Communecter, pour son appel à projet politique de la ville)
- Dans l’idéal, rendre visible les évaluations au plus grand nombre, voir elles aussi directement les réaliser sur un outil qui permet de l’évaluation collective, qui pourrait permettre d’impliquer les pairs (cela a fait gagner énormément de temps dans le cas de la ville de Saint Denis). On pourrait parler plutôt de diagnostic collectif, vivant.
- Limiter les tiers lieux financés portés directement par des institutions publiques (Encore en exemple, mais dans le 62, Opalopolis ou la Station ont très peu, voir pas du tout de gouvernance partagée (portées directement par des collectivités). Sur les 7 fabriques du 62, 4 sont institutionnelles (et pourtant des tiers-lieux, il y en a plein !). Et plutôt motiver des fabriques portées par des consortium de lieux. Monscobar à Lille, consortium que décrit Claire-Marie, a financé 90% de communs utiles aux 3 lieux, dont des améliorations de Dokos, la documentation sur les services et le pass inter lieux. 10% seulement revenant aux lieux directement en financement pour le fonctionnement.
- Réaliser une évaluation exigeante de la réelle participation des tiers lieux à produire des ressources partagées et un accompagnement sur le sujet.
Lors du premier appel à projet Fabrique, voici ce qui était inscrit dans le dossier présentant l’appel à projet Fabrique :
« Par ailleurs, l’ensemble des livrables (outils numériques, contenus pédagogiques, etc.) et documents produits par les porteurs de projets dont le financement sera permis par le présent appel à manifestation d’intérêt seront réutilisables et soumis à la licence Etalab »
Aucun suivi n’a été fait sur cette question et donc très peu de ressources libres ont été produites … C’est autant de connaissance inaccessible pour les lieux n’ayant pas eu la change d’être financés. Si il n’y a pas de suivi (par exemple, pas de versement de l’argent tant qu’il n’est pas indiqué sur quels communs il sera fléché, ou par exemple des personnes dédiées à accompagner la mise en partage) cela ne fonctionnera pas mieux. Certains fabriques vont jusqu’à animer des ateliers Google, sans aucunement jouer le rôle de lieux structurants pour les autres lieux du territoire (les ateliers ne sont d’ailleurs pas réalisés dans les tiers lieux du territoire), tout l’inverse de la démarche de départ, et rien est fait pour dire stop.
- Trouver des modalités pour éviter les effets d’opportunité et les jeux politiques (il y en a à priori eu beaucoup sur les fabriques de territoires, car le gouvernement jouait la montre par rapport à des élections à priori). On doit refuser de rentrer dans le jeu politique, sinon, ça crée une pression et nous emmène parfois ailleurs.
- Ne plus financer de lieux en SAS classique (SCIC et asso, ok, je ne comprends pas que l’on finance des tiers lieux privés avec l’argent public). Regarder aussi le parcours des lieux, si ils sont nouveaux et déjà de taille importante, ou si ils sont de taille importante car ils ont une histoire, qu’ils ont démarré petit. Ce dernier point devrait être regardé dans l’évaluation.
- Quand il est question de travaux d’aménagement importants, de ne financer que des lieux qui ont mis en place des règles importantes avec leurs propriétaires (voir pistes évoquées ici 1). Un bonus pourrait être donné aux lieux qui ont acquis la propriété avec leur structure (par exemple avec une SCIC comme la coopérative baraka, aux lieux qui ont mis en place le mécanisme du clip, à ceux qui utilisent des foncières à but non lucratif, etc )
- Peut-être abandonner le terme fabrique pour une autre logique, de soutien global aux tiers lieux. Il y a une bonne part de lieux qui n’auraient pas dû être soutenus et qui fait que les fabriques, dans la tête des tiers-lieux, n’ont pas de consistance et ne sont pas ce qui est communiqué : « La spécificité des Fabriques de territoire est d’être des tiers-lieux structurants, c’est-à-dire capables d’augmenter la capacité d’action des autres tiers-lieux de leur territoire. ». Cela n’a pas été le cas dans la majorité des Fabrique que je connais. Cette pensée des « fabriques » par le haut plutôt que les tiers lieux au sens large a amené aussi l’ANTL a prendre beaucoup plus soin des fabriques que des tiers lieux (il y a eu des pratiques assez dommage sur le forum, où des catégories dédiées fabriques étaient crées alors même qu’ils n’en existaient pas pour les tiers lieux de manière générale, l’asso nationale animant d’abord les lieux qu’elle finance.
Quelques idées pour tester complétement autre chose :
– Avant d’avoir à répondre au gros dossier fabrique, et si le nouvel observatoire des tiers lieux (qui suite au grande recensement serait par ailleurs facile à compléter maintenant qu’il est dynamique et complétable) demandait aux tiers-lieux de décrire leurs besoins idéaux (publiquement) pour les 1 à 3 années à venir ? En préalable de toute possibilité de participer à l’appel à projet ? Cela permettrait de voir d’abord les besoins financiers plutôt que faire rentrer les lieux dans un seul type d’enveloppe. Un formulaire très rapide pourrait être lancé (juste ajouter une nouvelle page sur son recensement, l’outil permet cela aujourd’hui, c’est son grand intérêt, avoir un observatoire vivant et dynamique). On pourrait aussi localement organiser des rencontres entre les potentiels candidats avec les réseaux régionaux, quitte à travailler à ce moment là une logique de partage d’enveloppe sur le territoire (au consentement et avec un format d’animation adapté, ça pourrait se tester, ou alors avec des outils proches de ce que propose la logique « cobudget » ), de quoi éviter les conflits entre lieux qui se tirent la bourre sur les réponses, vérifier que tout le monde y va, voir créer des liens entre lieux, et en profiter pour identifier des communs potentiels localement (profitons des réseaux régionaux et de l’observatoire maintenant qu’il existe !)
- Il serait super intéressant de déployer enfin un appel à commun en s’inspirant de l’appel à communs de l’ADEME, et peut-être tel que décrit ici 2 (et à retravailler collectivement ?)
- Si toutefois il est question de relancer un appel à projet, une piste évoquée avec quelques personnes pourrait être de demander aux lieux, lors de la phase de réponse à l’AMI, d’indiquer les propositions d’amélioration de communs (on parle ici de ressources ouvertes qui répondent à des défis communs à des tiers lieux) qu’ils souhaitent co-financer en indiquant un montant dédié à chaque proposition, avec un diagnostic sur les propositions à réaliser, et qui si elles sont validées, viendraient confirmer le dépôt de dossier et lui donner potentiellement plus de valeur. Les lieux financés seraient obligé de rendre des comptes sur leur réel investissement dans des communs, tout en pouvant réajuster leurs co-financements selon les besoins concrets, et rajouter des propositions. Ce serait un moyen de créer de la démocratie dans l’investissement dans les communs utiles aux tiers lieux, tout en créant un dispositif long terme facilitant une dynamique de co-financement qui pourrait faire intervenir d’autres acteurs publics et aussi directement des tiers lieux intéressés par les défis. L’autre effet de bord serait la remontée et le diagnostic des défis et des réponses à ces défis qui concernent les tiers-lieux, ce qui est actuellement pas fait. Pour cela un outillage en dynamique de réseau social adapté aux remontées de défis, au diagnostic des réponses et au cofinancement des solutions serait à déployer, ainsi qu’un soutien à des personnes qui faciliteront les échanges humains et un accompagnement afin d’animer ce dispositif.*